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Debout Citoyen·nes !

Par Marie Boucaud

Ce soir du 12 décembre 2018, d’épuisement, la tentation de restée emmitouflée à la maison, bien au chaud, dans mon cocon, l’a presque emportée. La relecture du programme de Debout citoyennes, organisé par Eklore, m’en a dissuadée, et insufflé une invitation à autre chose. La 1ère partie était déjà presque terminée lorsque je me suis engouffrée dans la salle calfeutrée du Théâtre République.

Juste à temps pour la prestation de Patricia Ferré, qui m’a embarquée tout de suite sur son radeau- vulnérabilité, en balade vers une destination que je connais bien : la rive -authenticité. Ses mots ont fait écho. La résilience surtout, celle que l’on s’approprie petit à petit. Celle que l’on découvre à tâtons, dans l’obscurité, quand on croit tourner en rond, que nos repères, et jusqu’à leurs contours, se sont déjà dissipés. Celle qui ne nous a pas donné.e.s le choix, avec laquelle on s’est retrouvé.e sur une autre voie, face à soi, toutes les parties de soi même, peut être pour la 1ère fois. Cette fois où l’on a failli couler, et puis dont on est ressorti.e.s, plus fort.e.s, plus libres, plus soi, d’une seule voix. A sa quête, de son radeau, à son appel-devise Liberté, vulnérabilité, résilience, je me suis donc ralliée. Et puis j’en ai suivi le fil – jusqu’à cette chanson d’Une sorcière comme les autres, dont on dit qu’elle porte toutes les autres en elle.

L’esprit au bout de sa voix, elle m’a captivée, Anne Sylvestre, pardon, Masson ; de cette voix qui osait à peine s’élever, elle nous a aspiré.e.s dans sa frêle bulle fredonnée, comme dans un sommeil semi- éveillé. J’ai bu avec elle quand elle avait la gorge asséchée, et le souffle presque suspendu, j’ai attendu ses paroles devenues perles de rosée. A peine au dessus de sa voix parlée, comme si à tout moment, elle pouvait s’arrêter, est-ce pour cela que son chant m’a à ce point transportée ? Ou était-ce parce que happée par ses mots autant que par ses silences, j’étais comme absorbée toute entière dans un ailleurs si dense ? De spectatrice, j’ai été propulsée, transfigurée en semi-autrice d’un voyage ensorcelé.

[…]

Le silence marque parfois mieux la transition que les mots.

[…]

L’esprit aérien, tout juste présent, presque titubant de ce voyage d’un autre espace-temps, j’ai suivi le prisme de Rama Mani et de ses milles facettes de femmes ; j’ai presque toute entière adhéré à l’idée que toutes ensemble – entre femmes de multiples horizons géographiques, professionnels, religieux, spirituels, à travers les classes, les croyances, ce qui nous dépasse et nous rassemble – nous pouvions tout faire. Guérir l’Humanité toutes ensemble, ce serait prodigieux. Vertigineux. Epineux. S’allier avec l’autre, en face, quelle alliance indispensable. Et en même temps, quel avenir, quelle  fondation, quelle solidité si en allant rencontrer l’autre, je fais fi de la plus importante union de toutes –celle avec moi-même ? Avancer toutes ensemble, oui, donc. ET avec tous ses autres soi intérieurs. Ceux que l’on condamne parfois. Ceux qui ont tout autant de droits, et de place, que ce « moi » revendiqué comme seul acceptable. Toutes ensemble in and out, on sera si fortes. Et on le sera encore plus avec l’autre moitié de notre humanité, ces hommes et puis aussi, tou.te.s les autres. Celles et ceux qui ne rentrent dans aucune des catégories de nos cartes d’identité, les IQ+. Chaque pièce de notre Humanité est cruciale pour la construction de ce monde-puzzle que nous rebâtissons. Le temps nous est compté, et ce sera dans les ressources de toutes et tous sans exception qu’il est essentiel de puiser.

Et justement, pour renforcer ces ressources uniques qui sont les nôtres, c’est de chaque parcelle précieuse de la nature dont nous avons tant besoin. A travers ses visuels et ses paroles, Pascale d’Erm nous a pris.e.s par la main et emmené.e.s à sa rencontre. Déposée au milieu de ces arbres, j’ai vécu ce qu’elle décrivait de la nature : la source la plus sûre d’apaisement pour notre esprit. Quelle délicatesse, quelle humilité de sa part, juste avant de s’éclipser, de nous glisser, sans injonction, comme une simple invitation : Allez dans un coin de nature, ce sera bien plus convaincant que tout ce que j’ai bien pu vous dire, puisque ce sera votre expérience. » Combien ignorait-elle alors que je venais d’en faire mon expérience ! A l’image d’autres, j’imagine.

Une étape vraisemblablement nécessaire pour m’imprégner mieux encore des mots de Patricia Wendling, dont un a fait particulièrement sens : celui de reconnaissance – des talents, des personnes, des contributions. Avant de me saisir d’une idée phare. Plus qu’une idée, une incitation à voir en l’être humain plus qu’un capital, à le voir comme capital. Sans oublier cette question-clé qu’elle nous a léguée,  à se répéter, encore et encore, à longueur de journée : Et l’humain.e dans tout ça ? Avec ce rappel empreint de magie: Un retour à soi à choisir chaque fois, pour préserver ce qui nous est cher : l’autre, soi.

Dans une société, justement, où il ferait bon vivre, quel mot résonnerait plus que les autres ? Sans doute est-il différent pour chacun.e. Quand Bénédicte Tilloy a fait l’aveu du sien, l’écho était majeur. Ma came à moi, a-t-elle partagé, c’était pas le pouvoir, c’était l’impact. Tout comme celui de la cohérence, et plus encore de la confiance : Si les actions trahissent les engagements, les acteurs et actrices de l’entreprise nourrissent le cynisme de l’entreprise. D’autres mots, en somme, pour parler d’engagement – de soi à l’autre, et de soi à soi. De l’importance d’aligner ses actes sur ses paroles, de signer son impact d’une parabole, celle – c’est moi qui le dis – de la Théorie U.

Et alors que l’on approchait de la fin de cette soirée, c’est là que Charlotte Marchandise, si vraie, transparente, puissante, s’est emparée de la scène. Elle m’a touchée pour une myriade de raisons, et une en particulier : dans un monde où l’on parle de deux genres bien distincts, délimités par des codes, et des frontières bien précises, elle a parlé de ces autres, celles et ceux dont on ne parle jamais, ou si peu – de celles et ceux qui se sentent femmes ou hommes ou les deux. Quand elle a partagé que son indignation était plus forte que sa résignation, quand elle a dit que La dignité de la société se voyait à la façon dont elle s’occupait des plus vulnérables, quand elle a cité Gandhi via « Ce que vous faites pour moi, sans moi, vous le faites contre moi » et affirmé ce que personne ne dit jamais en politique : il est primordial d’associer les « bénéficiaires » à la co-construction des solutions, j’aurais pu scander chacun de ses mots, tant ils résonnaient juste pour moi. Sa phrase, la dernière, m’a inspirée plus que toutes lesautres : La politique, oui c’est moche, mais il n’en tient qu’à nous d’en faire un bien commun. Quelle vérité à partager, rappeler, proclamer !

Après tant d’authenticité, celle qui marqua la fin de la soirée, et, en ce qui me concerne, son apogée, fut Sandrine Roudaut. En présence de cette guide irremplaçable de contrées tout à fois lointaines et familières, perdre m’importait peu, tant je savais qu’en m’y engouffrant, l’exploration se faisait plus limpide et profonde. La mélodie, la poésie des mots et surtout, surtout, la congruence entre forme et sens m’ont fait voyager au-delà, bien au-delà du 3ème arrondissement qui semblait me contenir… De l’enfant à l’Utopiste, je l’ai suivie pour vous en livrer quelques fragments.

L’enfant d’abord. A ce terme de prétentieuse dont sa mère l’avait affublée, blessure contre laquelle elle avait lutté si longtemps, elle nous a confié ce message à panser qui lui était destiné. Celui d’un blogueur qui l’a remerciée, à travers son livre, de lui avoir donné le courage de ses prétentions. Moment sacré. Existe-t-il plus belle manière de clore un cercle ?

L’Utopie ensuite, qu’elle nous a décrit comme : ce qui n’a pas de lieu, avant d’en décrier la déformation abusive. Depuis quand ce qui n’est pas réalisé n’est pas réalisable ?! Elle a poussé une porte, puis une autre, et laissé entrer plus de lumière, dans cet instant-labyrinthe mystifiant. Si nombreuses furent les résonnances, si fort en moi fut l’écho de sens que je ne peux me résoudre à seulement rapporter des messages. En guise de communion, je me dois de reproduire ses mots, pêle-mêle : L’Utopiste ne se soumet pas aux normes, mais à la nécessité du don-cœur-élan qui passe par elle/lui et la/le dépasse. L’Utopiste a une prétention : celle de qui nous pourrions être. Le désir est plus fort que la tristesse ou la peur. L’Utopiste croit en elle, en lui, en son utopie, en nous. L’utopiste désobéit à l’injonction de son milieu, s’affranchit de ses propres peurs pour répondre à ses valeurs. Dès que l’on assume ses prétentions, cela résonne avec les pulsations du monde. Adelphité. Un rêve seul est un rêve, un rêve ensemble est une réalité.

Merci à toutes de ce Voyage. Quand je me suis levée vers autre chose, ce soir là, je ne savais pas encore que c’était pour me mettre Debout. Merci d’avoir permis à cette opportunité d’Eklore.

 

Partagé par Marie Boucaud début 2019.

 

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